Quelques réflexions sur les difficultés de l’innovation en santé

Les difficultés rencontrées en France pour le déploiement de l’innovation en santé

Le secteur de la santé constitue l’un des plus vastes champs d’innovation dans l’économie mondiale sous la poussée en particulier des infotechs et des biotechs. Le numérique bouleverse le secteur, avec l’explosion de l’internet, du haut débit, de la mobilité, des objets connectés, de la télémédecine, de l’intelligence artificielle, de la robotique ou encore de la réalité virtuelle. C’est ainsi que de nombreuses startups naissent, la BPI ayant récemment identifié pas moins 104 startups sur le seul segment de l’IA santé. Malgré tout, monter un projet innovant en santé en France qui passe ensuite à l’échelle et connaisse un succès pérenne reste encore un exercice difficile pour plusieurs raisons financières et réglementaires.

La nécessité d’un modèle économique

En premier lieu, il convient de pointer du doigt la difficulté pour identifier un modèle économique pérenne. Bien souvent, l’idée initiale achoppe face à la difficulté de répondre à la question simple : qui va payer ? Cette difficulté est d’autant plus forte qu’il est souvent difficile en santé d’appeler le patient à contribution et que l’assurance maladie n’ouvre les vannes de la tarification de nouveaux actes que de manière parcimonieuse. Il en résulte un recours fréquent à des modèles hasardeux basés sur le mécénat ou à la sollicitation trop systématique de mutuelles santé ou laboratoires pharmaceutiques par exemple. En la matière, les idées innovantes amenant des bénéfices quantifiables et démontrés, comme par exemple celles qui d’évidence génèrent une réduction des coûts pour une typologie bien ciblée d’acteurs peuvent plus aisément rencontrer leur marché.

Le recours au financement de l’innovation

Il convient de noter une certaine facilité tout au moins apparente à identifier des subventions dans les phases expérimentales amont, sans compter les dispositions permises par le CIR (Crédit Impôt Recherche) et le CII (Crédit Impôt Innovation). Cependant, le « mille feuilles » de ces sources reste déroutant, avec des appels à projet multiples d’origines très diverses, publiques, privées ou fondations, nationales ou européennes et un effort de rédaction lourd à chaque réponse avec une probabilité de succès hasardeuse. Des dispositifs mis en place comme l’article 54 sur la télémédecine ou plus récemment l’article 51 pour l’innovation organisationnelle semblent amener un meilleur encadrement du processus innovant, avec des perspectives apparemment clarifiées de passage à l’échelle, mais ces modalités sont encore récentes et ne couvrent qu’un champ très limité dans l’innovation en santé. Le recours aux fonds d’investissements privés et « business angels » reste également bien souvent limité mais pourrait constituer un levier intéressant à l’avenir pour les startups, la présence en France des fonds s’étoffant de plus en plus, et ceux-ci pouvant jouer un véritable rôle de tuteur poussant les innovateurs à clarifier leur idée et leur modèle.

La prise en compte de la dimension réglementaire

L’Europe et la France en particulier disposent d’un arsenal réglementaire particulièrement complexe (cadre d’interopérabilité de l’ASIP Santé, réglementation HDS, RGPD, marquage CE médical, etc.) qu’il convient de maitriser pour développer une innovation au-delà des premières maquettes, faute de quoi l’innovateur s’expose possiblement à de forts désagréments, voire à rendre même caduque l’idée originale. En la matière, la prise en compte en amont de l’ensemble du dispositif réglementaire est requise, notamment pour toutes les idées valorisant les données personnelles, demandant parfois des compétences qui dépassent largement ce qu’une startup maîtrise. Celle-ci bien souvent se transforme alors en véritable exploratrice s’aventurant dans la « jungle réglementaire » sans assurance d’en sortir vivante. En la matière, la généralisation du RGPD en Europe depuis 2018 responsabilise les acteurs à l’origine du traitement de données personnelles et leur crée de fortes obligations relatives par exemple à la transparence vis à vis des utilisateurs. Sur un autre plan, la nouvelle réglementation européenne relative aux dispositifs médicaux en vigueur depuis 2017 pour une mise en oeuvre progressive à partir de 2020 renforce fortement l’approche du marquage CE médical : extension du champ d’application, nouvelles obligations, évaluation renforcée avant mise sur le marché, etc. Tout ceci constitue une contrainte très forte pour les innovateurs, mais en même temps pourrait aussi ensuite, une fois maîtrisé, générer des barrières d’entrée élevées face à la concurrence.